lundi 18 janvier 2010

De la diversité en politique


Anne-Sophie Lapix anime tous les dimanches une excellente émission politique, en clair sur Canal +, "Dimanche +". Au premier abord, on songerait plutôt à elle pour retourner les lettres à "La Roue de la Fortune". Mais il ne faut pas se fier à son physique de Barbie girl. C'est une des plus redoutables journalistes politiques de la chaîne. Ses questions ne sont jamais complaisantes. Contrairement à d'autres, elle ne sert pas la soupe à ses invités avec des interviews construites dans le seul but de leur permettre de faire leur com'. J'entendais récemment une journaliste radio, prétendument objective, demander à un responsable politique de gauche si selon lui, la suppression de la taxe professionnelle allait conduire à une "recentralisation" et à un amoindrissement de la démocratie locale...Bien évidemment, vu sous l'angle de la "suppression" et non de la "réforme", on ne peut que répondre "oui, bien sûr" à la question posée...Le travail du journaliste ne serait-il pas justement d'interroger la pertinence d'un discours politique plutôt que de se borner à le relayer?

Anne-Sophie Lapix, à ce titre, est au-dessus de la mêlée. Face à des invités qui manient souvent très bien la langue de bois, elle a l'art de mettre en relief les discours télécommandés et les "clefs de langage" qui structurent les interventions de nos politiques. Les réponses tournent en rond, esquivent le sujet et se font de moins en moins cohérentes et précises. L'invité est piégé: il a répondu à côté de la question et tout le monde s'en est aperçu. Ce dimanche, Jospin n'a pas échappé à la règle. Anne-Sophie Lapix l'a interrogé sur une déclaration d'Eric Besson, qui disait que la raison principale de l'échec du PS en 2002, ça n'avait pas été de surestimer le bilan des cinq années précédentes, mais de s'être coupé du peuple et des sujets de préoccupation des citoyens. Besson est peut-être un homme qui a retourné sa veste, mais l'analyse est plutôt juste et continue à être d'actualité. Le PS préfère refuser de débattre sur un sujet qui fâche, en prenant le risque de voir émerger à nouveau un vote FN dans un prochain scrutin, plutôt que de mettre ledit sujet sur la table en exposant ses idées et ses propositions. Exactement ce qu'ils avaient fait en 2002. Et Jospin, plutôt que de répondre à la question posée, rétorque qu'il ne parle plus d'Eric Besson et qu'il préfère commenter l'affaire Mrs Robinson en Irlande du Nord. Pathétique pirouette d'un homme politique qui n'en finit pas de ne pas comprendre qu'on ne peut gouverner si l'on méprise les inquiétudes des citoyens.

Le débat sur l'identité nationale est peut-être dicté par l'exécutif, pour des raisons politiciennes. Certes. Il n'empêche qu'en démocratie, c'est la majorité au pouvoir qui fixe l'agenda. Pas moyen de s'y soustraire, que ce soit sur les bancs de l'Assemblée ou dans les journaux. Refuser un débat au motif qu'il pourrait véhiculer des prises de position racistes, c'est laisser le champ libre à la diffusion de ces opinions. C'est également sous-entendre que le seul fait d'évoquer ce qui fonde l'appartenance à un peuple fait de vous un horrible facho-nationaliste. Pas étonnant que des milliers de gens se détournent d'un parti qui pratique le délit d'opinion. Oui, on peut parler d'identité française sans être nationaliste et sans vouloir exclure les Français d'origine étrangère de la nation. Le peuple français de 2010 n'est pas celui de 1950. On peut être Noir et Français, musulman et Français, asiatique et Français, avoir un patronyme à consonance portugaise et Français. Il serait peut-être bon de le dire haut et fort, non?

Pour revenir au sujet qui m'intéresse, je vous invite à visionner l'interview de Lionel Jospin et du reportage qui la précède, en suivant ce lien.

On y parle de diversité en politique et on loue les socialistes qui auraient enfin compris qu'il était "impossible de gagner une élection en négligeant les communautés" (sic). Que je rassure tout de suite Canal + et ses téléspectateurs, ça fait longtemps que le PS, comme tous les autres partis, pratique le clientélisme, que ce soit à destination des profs, des cheminots, des étudiants, etc...La seule nouveauté ici, c'est qu'il ne chouchoute plus une catégorie socio-professionnelle en particulier, mais des "communautés". Est-ce meilleur pour la démocratie?...

En effet, le PS a investi deux têtes de listes issues de la diversité pour les régionales en Ile-de-France, Ali Soumaré, élu de Villiers-le-Bel (95) et Abdelhak Kachouri, maire-adjoint à Saint-Ouen (93). J'aime beaucoup Canal + et j'ai dit dans les lignes qui précèdent tout le bien que je pense de cette émission. Néanmoins, le message qui passe dans ce reportage est: "on investit des Blacks et des Rebeus pour aller chercher l'électorat des cités et les communautés". Messieurs Soumaré et Kachouri, vous êtes donc, selon Canal +, la caution "arc-en-ciel" du Parti Socialiste. Ne vous attendez donc pas à représenter un jour les citoyens de cette région et de ce pays. Vous ne représenterez que la frange "communautaire" car vous avez été élus pour ça. Parlez de sécurité urbaine et d'animation de quartier, c'est votre milieu, c'est ce que vous connaissez. Et laissez les énarques et les sciences poteux blancs proposer leurs idées sur l'éducation, sur les finances, sur la dette publique, sur l'emploi et le développement économique. Ne sortez pas de votre quartier en somme, vous ne représentez pas la France. Seulement ses banlieues...

Je déplore ce genre de reportage qui, sous couvert de louer l'ouverture à la diversité de la politique, continue à enfoncer dans la tête des citoyens une idée extrêmement gênante à mes yeux: un Noir ou un Arabe n'est bon qu'à parler des cités, et les habitants de ces cités ne peuvent faire confiance qu'à l'un "des leurs".

Quant aux interviews des journalistes du côté de l'UMP, c'est assez risible aussi: ils vont interroger Kamel Hamza, qui se plaint de ne pas avoir été choisi pour représenter la diversité sur la liste UMP en Seine Saint-Denis. Fort heureusement, a-t-on envie de dire, quand on a déjà approché le bonhomme. Il faut préciser, pour bien faire, que l'énergumène est l'attaché parlementaire d'Eric Raoult, dont j'ai déjà eu l'occasion de narrer les aventures sur ce blog. Ledit Raoult a juré d'être Ministre de l'Outremer et rêve chaque nuit de voir la blonde Pécresse perdre les élections régionales et choir de son piédestal. L'amer constat d'Hamza n'a donc rien à voir avec la diversité politique. C'est Raoult qui tacle Pécresse par le truchement de sa marionnette.

Le choix des candidats pour une élection devrait être motivée non par la couleur de peau, l'origine "communautaire" ou le sexe des gens, mais bel et bien par leur compétence et leur envie d'être au service de l'intérêt général. Je ne doute pas un seul instant que ce soit le cas d'Ali Soumaré et d'Abdelhak Kachouri, légitimes dans leur parti et dans leur ville. Mais le travail d'un media sérieux serait de rappeler que cette légitimité vient de leur travail d'élu et de militant, et pas de leur origine ethnique et/ou sociale.

2 commentaires:

  1. Faut réfléchir pour poster un commentaire chez toi qui n'ait pas l'air trop café du commerce... Alors je vais essayer de me dégager un peu de temps de cerveau disponible ce week-end, et je vais tenter de faire quelque chose de présentable. Vais peut-être commencer par l'article sur Saint-Nicolas, celui-là, il m'interpelle au niveau du vécu... ;-)

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  2. L'article suivant est sans aucun doute plus dans tes cordes de linguiste avertie :)

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