lundi 13 décembre 2010

The day after tomorrow


Mercredi 8 décembre 2010. L'Ile-de-France est en état de siège. Dans les rues des villes de banlieue, des automobilistes essaient désespérément de fuir pendant que partout retentissent les sirènes des pompiers. Un capot ouvert et fumant par ci, une voiture en travers de la route par là. Scènes dignes des meilleurs films catastrophes américains des 20 dernières années.

Et qu'est-ce qui provoque ce chaos? Godzilla? Une attaque alien? Le déluge? Le retour de la tempête de 99? L'explosion d'un site classé Seveso?

Du tout. Vous n'y êtes pas. Les responsables de toute cette pagaille (car il faut bien appeler un chat un chat), ce sont 15 malheureux centimètres de neige. Pas 40, comme à Lyon une semaine plus tôt. Pas trois mois d'enneigement consécutifs, comme en Europe du Nord ou dans les stations alpines. 15 centimètres de neige tombés en 4 heures ont totalement paralysé la région la plus riche d'Europe occidentale.

Dingue? Non, pas tant que ça, quand on sait qu'un simple coup de frein d'un automobiliste rêveur sur l'A86 peut provoquer un bouchon s'il est donné aux abords du Stade de France un vendredi à 17h. Que n'a-t-on pas entendu comme commentaires railleurs sur le Parisien et sa conduite suite à cet épisode malheureux et ubuesque! Le Francilien ne sait pas conduire sous la neige, le Francilien roule comme un fou et ne prend pas garde à la signalisation et il ne faut pas s'étonner si le Francilien finit bloqué dans un capharnaüm géant on ice.

Je ne suis pas prompte à défendre le Francilien roulant. La récente acquisition d'un véhicule muni d'une plaque "provinciale" a achevé de me convaincre du caractère belliqueux et impatient de l'autochtone au volant.

Néanmoins, pour une fois, le Francilien roulant n'y est pas pour grand-chose dans cette pagaille.

Imaginez une métropole avec des tronçons de route faits pour absorber au maximum 8000 véhicules/heure et qui en voient passer le double. Par temps sec, ça bouchonne. Quand il pleut, ça ajoute des kilomètres de bouchons à ceux qui se forment "naturellement". Quand il neige, si une voiture sur 3000 chasse de l'arrière-train sur le périph, ça sent le blocage systémique en moins d'une demi-heure. Avec 80 véhicules de déneigement, on ne dégage pas une région complète en 30 minutes. Si le réseau secondaire et tertiaire devient difficilement praticable en moins de deux heures, on arrive à la sclérose complète du système en moins d'une demi-journée.

En somme, le problème de l'Ile-de-France, ce n'est ni le manque de réactivité des pouvoirs publics, ni l'erreur de 5 centimètres dans la prévision de Météo France, ni l'irresponsabilité des Franciliens qui prennent leur voiture malgré une alerte orange à la neige et au verglas.

Le problème, c'est un réseau de transports conçu pour 5 millions d'habitants, quand on en compte 11 millions aujourd'hui.

En matière de déplacements, la région est au bord de l'asphyxie, comme l'a démontré l'épisode neigeux de mercredi dernier.

Et la bonne marche du réseau routier et du réseau de transports en commun conditionne beaucoup d'autres problématiques: si la demande sur l'immobilier est aussi forte aux abords de Paris, si la pression sur les prix à la location et à l'achat est aussi élevée, c'est que l'on cherche à se rapprocher de son lieu de travail. Mettre 40 minutes pour aller travailler, en petite couronne, c'est vivre à moins de 10 km de son travail. Dans une ville moyenne de province, dans le même laps de temps, vous pouvez parcourir 30 km.

Tandis qu'on peine à améliorer le réseau existant de transports en commun, qu'on conçoit très difficilement des lignes nouvelles de transports ferrés (les plus rapides, les plus efficaces, mais aussi les plus coûteux), on a complètement cessé de construire des routes. Pourquoi? Parce qu'il ne faut pas inciter au choix du mode de transport automobile, après des décennies de "tout-automobile". Vous vous rappelez? L'époque où les zones piétonnes n'existaient pas, où il y avait encore des places gratuites de stationnement et où l'essence coutait 3 francs le litre. Non? Moi non plus. J'étais trop jeune...

Par contre, il faut défendre les constructeurs français, fleurons de notre industrie, à coups de prime à la casse, exonération de la vignette automobile, bonus écologique et autres avantages liés à l'achat d'une voiture neuve...

Les effets de cette politique schizophrène se font ressentir durement aujourd'hui: toujours plus de voitures pour un réseau routier qui se dégrade et une offre alternative de transports en commun qui ne s'améliore pas et coûte de plus en plus cher.

On avait déjà les grèves à la SNCF et les alertes à la bombe...les Franciliens ont maintenant une nouvelle raison de faire la gueule de bon matin. Les alertes météo!

En photo: la préfecture de la Seine Saint-Denis à Bobigny, mercredi 8 décembre 2010

vendredi 15 octobre 2010

Rock n' roll, Baby! Part III


Et début septembre, en apothéose, un de mes amis m'a donné l'occasion, pour mon anniversaire, d'aller voir un groupe dont je suis une fan inconditionnelle depuis ma plus tendre adolescence. Le 13 septembre, à Bercy, j'ai donc réalisé mon rêve rock numéro 2: assister à un concert des Guns n' Roses.

Les Guns, pour moi, ce sont deux personnages: Axl Rose, le chanteur à la voix nasillarde, au visage d'ange et aux tenues décalées, et Slash, le guitariste métis et mystérieux aux accents blues, avec ses lunettes noires, son haut-de-forme, ses tatouages et ses pantalons moulants en cuir.

Il se trouve que les deux ne peuvent plus s'encadrer depuis l'album "The Spaghettis Incident", sorti en 1996. Le dernier enregistrement commun est une reprise des Rolling Stones, "Symapthy for the Devil", qui figurait sur la BO du film "Entretien avec un Vampire", la même année.
Les Guns n' Roses, aujourd'hui, c'est en fait quelque chose comme "Axl Rose and friends". De l'ancienne formation il ne subsite qu'Axl et Dizzy Reed, le claviériste. Matt Sorum, le batteur, tourne à présent avec Slash.

La première partie fut déroutante, sauf si on aime le horror punk aux tendances hardcore (Comment? Qu'est-ce que c'est? Tapez "Murderdolls" sur Google)... Me concernant, c'était une découverte, et même si je suis en train d'éduquer mon oreille au heavy metal, elle a saturé rapidement. Par contre, le message était simple: "I love to say fuck"... Métaphysique, quand tu nous tiens...

Quant au concert des Guns proprement dit, pour commencer, le groupe est resté fidèle à lui-même: une heure et quart de retard. La foule commençait à gronder et autour de moi, en fosse, les plus jeunes s'impatientaient. Ils ne savaient pas, ces petits scarabées, que la ponctualité n'était pas la qualité première de la bande à Axl. Tout ça fut oublié dès les premiers accords. Et ce fut du délire au deuxième titre, le mythique "Welcome to the Jungle". C'est à ce moment-là que j'ai ressenti une poussée dirigée de l'arrière vers l'avant proportionnelle au poids de la foule déplacée...C'est à dire tout Bercy moins la dizaine de personnes placée entre la scène et moi...Pour information, aller dans la fosse d'un concert de hard rock à cette distance de la scène est suicidaire quand on est une femme, sauf à être dotée d'une carrure exceptionnelle pour le genre. C'est pourquoi je ne m'y serais jamais risquée sans un blindage de choc, à savoir deux bodyguards d'une efficacité redoutable.

Alors certes, les Guns de la grande époque, ça devait être autre chose. On voit bien qu'Axl accuse non seulement son âge, mais aussi les 25 dernières années de débauche. Exit les kilts et les apparitions torse nu, chaînes et tatouages apparents pendant les concerts. Le jean (troué) et les vestes à paillettes sont de rigueur, et ne masquent pas la vingtaine de kilos apparus depuis "Appetite for Destruction", le tout premier album du groupe. Mais qu'importe le flacon, pourvu qu'il y ait l'ivresse. Et l'ivresse, en l'occurrence, c'était bien le rock et les solos inoubliables sur "Knockin' On Heavens Door", "November Rain" ou "Sweet Child O' Mine". C'était aussi une interprétation acoustique de "Don't Cry" par 8000 personnes et une version toute personnelle d'un titre d'AC/DC, "Whole Lotta Rosie". Deux heures trente de concert que le journaliste du Parisien a qualifié de "pâle prestation de rois déchus du hard rock". C'est certain que lorsqu'on assiste à un concert de rock assis dans une loge en dégustant champagne et petits fours, on a du mal à saisir l'âme d'un groupe et l'émotion véhiculée par une musique.

En conclusion, comme dirait Axl:

"Yeah this song is dedicated to

All the Guns n'f****' Roses fans

Who stuck with us through all the f**** shit

And to all those opposed...

Hmm...well..."

En photo, Darren Jay Ashba, un des guitaristes des Guns, le dernier arrivé dans le groupe. Il n'est pas sans rappeler, dans les attitudes et le style, un certain...Slash...

Rock n' roll, Baby! Part II


Fin août, je me suis rendue au festival Rock-en-Seine, au Domaine National de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine. Même si je déteste les clichés, il faut bien dire que cet évènement est à l'image du département dans lequel il a lieu! Un cadre très classe, un festival "blockbuster" à gros budget, des têtes d'affiche qui sont autant de stars internationales, un site très propre où l'attention est mise sur le développement durable (gobelets consignés, toilettes sèches...), des scènes à l'acoustique tonitruante...On est loin de la fête de l'Huma et de ses amplis poussifs qu'on pourrait couvrir en fredonnant l'Internationale!

Certes, le budget, et donc le tarif n'est pas le même: 19€ pour trois jours de festival au parc de la Courneuve (avec la rencontre des sections PCF de France et de Navarre, du monde entier - même celle de Cuba, si, si... en prime et une foultitude de débats passionnants: "Comment vaincre le capitalisme? Le marxisme, une idée neuve? Un scénario à la Jurassik Park est-il possible au PCF? Les dinosaures et les éléphants peuvent-ils cohabiter dans un monde où l'homme est un loup pour l'homme?"...etc etc...). 99€ pour trois jours de festival à Saint-Cloud, sans débats, mais avec des expositions, des plateformes de jeux vidéo, des partenaires qui offrent des cadeaux, etc etc...Un festival bobo, en quelque sorte, où l'on se la joue roots mais pas trop pendant trois jours.

Sur la programmation, rien à dire si ce n'est qu'à l'instar des Eurockéennes de Belfort, elle s'élargit d'année en année à d'autre styles musicaux. Ici, c'est l'électro, et en Franche-Comté, c'est plus le hip-hop. Il n'empêche que depuis quelques années, Rock-en-Seine m'a donné l'occasion de voir quelques beaux monuments du rock: les énervés sur le retour de Rage Against The Machine, Oasis (non, j'déconne!), The Offspring (oui, j'adore le néo-punk californien, et alors?), The Prodigy, Queen of The Stone Age...Cette année, j'ai cependant regretté qu'on programme un groupe comme Skunk Anansie à 18h30 le vendredi. C'était tout simplement impossible d'arriver à temps, compte tenu de la circulation parisienne, quand on n'avait pas pris son après-midi.

Mon prochain festival sera sans doute le Main Square Festival, qui se déroule le premier week-end de juillet à Arras. Les deux dernières programmations, résolument rock, me faisaient piaffer d'envie. Au pire, le Hellfest, s'il n'est pas tué par la fronde catho-villiériste vendéenne, me tend les bras....Non, j'plaisante!

En photo, Deborah Dyer, la chanteuse de Skunk Anansie, à Rock-en-Seine cette année

jeudi 14 octobre 2010

Rock n' roll, Baby! Part I


Suite aux courriels désespérés de nombreux fans de ce blog...Enfin, plus exactement suite au courriel d'une de mes lectrices (de ma seule lectrice?) me demandant de prendre à nouveau la plume, je vais essayer de recommencer une activité de bloggueuse non-intermittente.

Il faut dire que mes excuses pour ne pas écrire, à bien y réfléchir, sont toutes aussi foireuses les unes que les autres: Pas le temps (et les autres, ils font comment? Ils ne prennent pas de RTT pour écrire, à ce que je sache!), manque d'inspiration (ah bon? Il faut de l'inspiration pour écrire? Et pourquoi pas du talent, tant qu'on y est?), nouvel amour (ça c'est vrai, mais ce n'est pas une excuse!)...

Pour me remettre en jambes, je vais donc commencer par un sujet léger. Je vais vous conter mon été rock n' rollesque. N'ayez crainte, je ne vous assommerai pas avec des considérations boboisantes telles qu'on peut les trouver dans les magazines spécialisés ou dans les pages culture des quotidiens nationaux. Pas de "riffs punko-psychédéliques déchaînés", ni de "Leur nouvel album s'inscrit dans un style underground, tourmenté et pourtant plus mature"...Amatrice de rock au sens large, j'aime aussi les groupes dont les leaders ne sont pas morts, et qui connaissent un certain succès commercial. Je sais, la honte. C'est un peu comme regarder le JT de TF1 alors que le Grand Journal de Canal est en clair au même moment. C'est pas branché du tout. Tant pis, j'assume.

J'ai effectué en juin dernier mon baptême de Stade de France. Je n'avais jamais assisté à un concert dans un stade, à vrai dire. Et pourtant, mon rêve rock numéro 1 aurait été de voir le "Live in Wembley '86" de Queen, mais j'étais sans doute un peu jeune pour ce type d'évènement à l'époque. Mais passons.

Muse a rempli deux soirs de suite le stade mythique de Saint-Denis en ce mois de juin. Mes billets étaient réservés depuis décembre, en fosse naturellement. Enfin, en pelouse. Muse a quelque chose de Queen, un je ne sais quoi de génie, quelque chose de déroutant qui les rend inclassables. La bande à Freddie maniait aussi bien le hard rock que le rockabilly, et a inventé l'opéra-rock (le premier qui cite Mozart sera flagellé en place publique). La bande à Matthew s'inscrit dans cette ligne. Ils savent tout faire, ou presque, sont imprégnés de nombreuses influences et la synthèse de tout cela vous fait passer de l'euphorie des guitares survoltées et saturées à la mélancolie classique des intros au piano.

Muse en concert, c'est du plaisir à l'état pur pour les oreilles. Pour les yeux, sans doute aussi, mais mon mètre soixante cinq et demi était trop court pour que je puisse voir autre chose que les amplis placés au-dessus de la scène. Hé oui, un stade n'est pas une salle de concert, et c'est là que réside mon intense déception. Pour assister au spectacle, j'ai du renoncer à avancer et refluer vers l'arrière de la pelouse. A cette distance, Matt Bellamy était à peine une silhouette...Et les écrans géants ne sont qu'une maigre consolation, car ils ne permettent pas de voir tout ce qui se passe sur scène.

En revanche, la tournure résolument électro de ce nouvel album me chagrine. Avec The Prodigy, je pensais aimer la fusion rock-électro. En fait, il n'y a que The Prodigy qui réussisse à fusionner réellement les deux musiques, à la fois dans les compositions et dans l'esprit. Les autres superposent, entassent, collent...Ca reste plutôt rock ou plutôt électro, et en l'occurrence Muse a choisi la voie électronique. Dommage, pour les fans de rock...

En photo, Muse...

dimanche 11 avril 2010

Les bidonvilles de Paris


"Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille!" Ce vers de Charles Baudelaire pourrait illustrer l'attitude du pays face à ses banlieues. Deux articles parus cette semaine dans Le Monde interpellent le lecteur sur le drame quotidien et silencieux de ce que l'on appelle pudiquement les "quartiers".

Le poignant aveu d'impuissance de Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, et le diagnostic sans concession de Tahar Ben Jelloun, écrivain, poète, symbole vivant d'un syncrétisme culturel qui semble aujourd'hui disparu, risquent de passer inaperçus tant on s'est habitué à voir le 9-3 au 20h.

Et pourtant. Lisez ces textes. Imaginez un instant de vivre le quotidien que décrit le maire de Clichy-sous-Bois dans les cités de sa commune. Imaginez, depuis le canapé de votre salon, ou devant votre PC à votre bureau, que dans la pièce où vous vous tenez, vous vivez avec 2, 3, 4, 5 autres personnes. Ici, chaque personne qui ne travaille pas en CDI est la proie des marchands de sommeil. Trois, quatre, cinq années d'attente pour obtenir un logement social. Quelquefois moins à Clichy-sous-Bois, mais il faut accepter de vivre et de faire grandir ses enfants au milieu des tours, du trafic de drogue, dans des appartements délabrés, des immeubles délabrés et des déchets éparpillés. Ben oui, quand il faut faire 15 étages à pied pour descendre ses ordures et risquer de déranger un trafic dans le local à poubelles, on renonce assez vite. Et on jette ses déchets par la fenêtre.

Quand je suis arrivée ici, j'ai essuyé pas mal de refus avant de trouver un appartement dans le parc locatif privé. Malgré un salaire confortable, des parents acceptant de se porter garants, je porte en moi le péché originel: Je suis en CDD. J'ai alors entrevu la galère que ça pouvait être pour des gens payés au SMIC, sans appui familial et avec des enfants à charge: L'accession à une location dans le privé est impossible. Le logement social, ce sera au mieux dans 3 ans, parce que le parc locatif est faible, sans turn-over et ne peut répondre à une demande plusieurs fois supérieure à l'offre de logements.

Quelle solution reste-t-il alors? Trouver un logeur arrangeant qui louera un taudis de 15 m² à un tarif au-dessus des prix du marché, mais sans demander contrat de travail, avance sur loyer ou garantie familiale. C'est ainsi que des dizaines de familles se retrouvent ghettoïsées à Clichy-sous-Bois, à Tremblay-en-France ou à Sevran, victimes d'un système en faillite qui ne loge que les plus protégés ou les plus aidés.

J'ai en tête l'histoire d'une femme, mère de deux enfants, qui avait trouvé un trois-pièces dans une copropriété de Clichy-sous-Bois. Logement abordable, appartement correct, contrat de bail en bonne et due forme. Un rêve ici. Oui mais voilà. La contrepartie de tout cela, c'est qu'elle devait partager l'appartement avec un "colocataire", non mentionné sur le bail, parent du propriétaire, qui se servait de l'appartement pour "faire son business" et qui ne ne souciait guère de payer quoi que ce soit. Cette femme faisait grandir ses enfants au milieu de la drogue, des liasses de billets, des flingues et des mecs louches qui allaient et venaient à toute heure du jour et de la nuit. Quel autre choix avait-elle, à part celui de vivre sous les ponts?

C'est ici que les lignes de Tahar Ben Jelloun prennent une résonance particulière:

"Or, la banlieue, telle qu'elle a été conçue puis négligée pour ne pas dire oubliée, est devenue un lieu pathogène. N'importe quelle population installée dans ces immeubles produirait de la délinquance et de la violence. Les Français d'origine immigrée ne sont pas condamnés à être dans le retard scolaire, à provoquer les gens dans la rue, à voler, à vendre de la drogue et à finir leurs jours en prison. Ils sont le produit d'un malaise entretenu par l'indifférence, par la pauvreté, par les accidents de la vie."

J'invite ceux qui pensent que ces gens se complaisent dans la pauvreté à lire et relire ces lignes, à s'imprégner des paroles de Claude Dilain et à venir voir de près à quoi ressemble "une cité" ici. La simple vue des barres austères, de loin, provoque déjà un vague malaise. Quand vous vous approchez, les immeubles vous toisent, vous menacent, vous oppressent. Les déchets jonchent le sol et, si vous levez le nez, vous verrez que beaucoup de fenêtres n'ont pas de vitres en verre, mais des simples carreaux de bois. Si vous entrez dans un hall d'immeuble, de nuit, vous ne verrez rien. Les ampoules sont cassées, la lumière étant peu propice à la discrétion requise pour les trafics en tous genres. De jour, vous verrez les boîtes aux lettres défoncées, les murs, les sols, les plafonds, les escaliers tagués. Vous serez saisis par l'odeur d'urine qui vous pique la gorge. Vous ne pourrez gravir les étages autrement que par les escaliers, même pour monter au quinzième, parce que l'ascenseur est en panne. Toujours. A ce moment-là, songez à la devise de la République. Liberté, Egalité, Fraternité.

On parle pudiquement et hypocritement de banlieues en difficulté, de quartiers difficiles. On devrait parler de bidonvilles en dur, de favelas institutionnalisées. En France, on donne des leçons sur les droits de l'Homme au monde entier. Et on ferme les yeux sur notre propre incurie, notre propre misère. Parce qu'il y a une responsabilité politique. Elle n'incombe pas seulement à la droite ou à la gauche, même si ces banlieues ont longtemps arrangé tout le monde. La droite car l'électorat populaire n'entrait pas dans ses bastions. La gauche parce qu'elle a pu se créer des baronnies locales. Cette responsabilité-là, nous la portons tous en tant que citoyens. Parce que nous faisons semblant de croire que la banlieue est un problème de banlieue. Mais si nous tremblons tous dès qu'un bus flambe, c'est bien parce que nous savons que cette violence peut dégénérer gravement du jour au lendemain.

Alors oui il faudrait plus de flics, oui il faut reconstruire, oui il faut reloger. Oui il faut revoir la politique de la ville, l'aménagement du territoire, les politiques d'éducation, les politiques d'aides sociales, les infrastructures de transport. Songez que le dossier du fameux "désenclavement du plateau de Clichy-sous-Bois Montfermeil", le prolongement de la ligne de tram-train T4, patine maintenant depuis plusieurs années parce que les élus concernés par le décrochage n'arrivent pas se mettre d'accord sur le tracé, pour des raisons politiquement peu avouables. Mettre les cités de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil à 5 minutes de Livry-Gargan et du Raincy, c'est faire déferler des hordes de jeunes à casquette sur de la banlieue pavillonnaire. On veut bien rompre l'isolement de ces habitants, à condition qu'ils ne passent pas par chez soi. Après ça, tous ces messieurs bleublancrougisés iront couiner qu'on ne les consulte pas si d'aventure l'Etat passe outre leurs querelles de clocher. On sortira les grands mots, les grandes tirades, sur le déni de démocratie, la volonté de recentralisation, l'asphyxie de la démocratie locale, le manque de concertation et de dialogue. On finira par croire à sa propre indignation. Et peut-être même faire admettre que l'on s'insurge pour le bien commun.

Je laisse à Tahar Ben Jelloun le mot de la fin:

"Evidemment il y en a qui s'en sortent et réussissent malgré tous les obstacles. Ceux-là s'éloignent de la banlieue. On parle à leur propos d'intégration. C'est une erreur. On intègre l'étranger, pas l'indigène, l'autochtone."

En photo, une partie de la cité des Bosquets à Montfermeil (93).

mercredi 3 février 2010

Le flic, la blonde et les parachutes


Ca y est. Rien ne va plus dans le microcosme politique de Seine Saint-Denis. La liste UMP pour les régionales a enfin vu le jour dans la douleur dans le département. Avec un coup de théâtre en guise de cerise sur le gâteau: à la place de Patrick Toulmet, élu valdoisien (cherchez l'erreur), d'abord désigné pour conduire la liste, un autre nom nom est sorti du choixpeau magique: celui de Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat de police Synergie, en poste à Rosny-sous-Bois.

Inutile de dire que les dents grincent et que l'émail s'use du côté des élus locaux.

"Le 9-3, c'est Sainte-Mère-L'Eglise", entend-on ricaner ça et là. Le parachute de Toulmet s'est en effet accroché en haut de la construction fragile qu'est la campagne de l'UMP pour les régionales. Le parachuté a glissé sur l'ardoise polie mais pentue du carriérisme politicard local, et c'est celui de Beschizza qui s'est ouvert avec plus de fortune.

Pour la petite histoire, la droite locale a versé dans la querelle de clocher (c'est le cas de dire). Cependant, il ne faut pas s'y tromper, c'est du bordel organisé. Le grand ordonnateur du désordre ambiant? L'ineffable défenseur du devoir de réserve pour les écrivains français et expert incontesté de la distillation de fiel: Eric Raoult, que je ne présente plus.

Au départ, il avait choisi le mauvais cheval: Roger Karoutchi en avait fait son porte-parole lors de la primaire qu'il l'avait opposé à Valérie Pécresse pour la désignation de la tête de liste régionale l'an dernier. La campagne s'était arrêtée quand à l'issue du premier débat au Raincy, Raoult avait fait en sorte d'humilier Pécresse en remplissant la salle de de jeunes karoutchistes bariolés et exaltés.

Cela n'a servi à rien puisque la Ministre de l'Enseignement Supérieur a remporté la tête de liste régionale. Rien d'étonnant d'ailleurs, pour une femme qui semblait maîtriser ses dossiers, face à un homme qui les connaissait sans doute mieux qu'elle, mais qui a préféré se saborder en rabâchant un one-man-show d'inspiration pagnolo-pasquaiesque à chaque meeting. La bonhomie provençale ne paie plus en Ile-de-France.

Bref, Raoult avait choisi le perdant et au lieu de faire contre mauvaise fortune bon coeur, il a préféré entrer en guerre larvée contre une ministre. Quitte à faire perdre son camp. Il a d'abord découragé toute candidature locale en Seine Saint-Denis. Et oui, en tant que président de la fédé UMP, il reste le grand patron des investitures. Tout élu qui tient un tant soit peu à voir reconduire son mandat s'est bien gardé de lever la main quand il a demandé s'il y avait des candidats pour la tête de liste départementale. Il s'est ensuite présenté comme l'Unique, le Sauveur, le seul à pouvoir faire le job. Alors même que, touché par le cumul de mandats, il aurait du démissionner sitôt élu. Mais il n'en est pas à une farce près. Bien entendu, Pécresse n'en a pas voulu et a tenté de débaucher en douce des élus du coin hostiles au député-maire du Raincy. Simplement, en politique, si on n'est pas sûr d'achever quelqu'un du premier coup, surtout plus puissant que soi, il ne faut pas prendre le risque de le blesser. Personne n'a suivi. Du coup, il restait la solution du parachutage, bien pratique pour Raoult qui avait besoin d'un prétexte pour traîner des pieds sans que cela passe pour du racisme anti-blondes primaire. Du coup, ce fut Toulmet qui fit le bouche-trou en attendant que Beschizza, le choix du Château, soit disponible, élections syndicales obligent.

Raoult a tout de même eu gain de cause sur quelques winners: les brillants conseillers généraux UMP sortants en Seine Saint-Denis, à savoir la fantomatique Martine Valleton, n°4 sur la liste, casaque bleu foncé (plus personne ne se souvient de son visage), le gentil Alain Ramadier, n° 11, casaque bleu foncé (trop gentil sans doute) et le maire de Rosny-sous-Bois, Claude Pernès, n° 5, casaque bleu clair, que l'on sait gravement malade. Le Nouveau Centre tire la campagne à bout de bras depuis le début (et les marrons du feu) avec en n°2, casaque bleu clair aussi, l'épouse du député-maire de Drancy, Aude Lavail-Lagarde. Toulmet n'est pas totalement évincé puisqu'il conserve la place n°3. Même Kamel Hamza, l'assistant parlementaire d'Eric Raoult, qui pleurnichait récemment sur C+ (voir le post du 18 janvier dernier) que Pécresse faisait fi des candidats issus de la diversité, décroche tout de même la 7ème place. Pour un pauvre renégat, ce n'est pas si mal...Seule surprise sur cette liste, l'absence de Madame Raoult, que l'on s'attendait à trouver en embuscade, tapie derrière son masque de blush. Mais ça aurait obligé son mari à faire campagne...

En résumé, parmi les 5 premiers de la liste, éligibles en cas de défaite, on trouve...une seule UMP, en n°4, en la personne de l'ex-maire de Villepinte, qui avait pourtant disparu des écrans radar du microcosme politique local depuis quelques années.

Avec ça, dépasser les 20% dans le département tiendrait du miracle, surtout qu'en face, Abdelhak Kachouri (PS) et Stéphane Gatignon (Europe Ecologie), s'ils ne font pas une campagne exceptionnelle, font au moins l'unanimité dans leur propre camp.

Et ce n'est pas en qualifiant la campagne de Pécresse de concours de beauté que le député-maire du Raincy risque d'élever le niveau.

Je crois qu'en général, on a les politiques que l'on mérite...Mais là, tout de même...

dimanche 24 janvier 2010

L'argot des villes et l'argot des champs


Ce jeudi soir, alors que je pressais le pas pour rentrer à la maison, je fus stoppée net dans mon élan de jeune femme frigorifiée par une exclamation venue d'un autre âge, et (presque) d'une autre planète.
Des gamins jouaient au foot sur la place que j'étais en train de longer. L'un d'eux, pour attirer l'attention de son coéquipier, lui tint à peu près ce langage: "Vas-y gros! Fais-moi la passe!"
Le gros en question était un gamin fluet d'une dizaine d'années. L'exclamation ne faisait donc pas référence à sa circonférence, mais devait plutôt être entendue au sens de "mec": "Vas-y, mec, fais-moi la passe!".

Ce qui m'a stupéfiée, c'est que cette expression évoquait en réalité plus pour moi le jeune paysan lorrain que le môme de banlieue...Combien de fois ai-je entendu, lorsque j'étais enfant, mes instituteurs reprendre mes petits camarades lorsqu'ils s'interpellaient ainsi entre eux: "Salut gros! Comment qu'c'est?" - traduction populaire et enfantine du fameux "Bonjour cher ami! Comment allez-vous"?

L'emploi du mot "gros" n'avait alors aucune connotation péjorative. Il s'agissait plus d'une interjection joyeusement virile, car, de bien entendu, on n'entendait jamais deux femmes s'interpeler de la même manière, et encore moins un homme s'adresser à une femme en ces termes: "Salut grosse, comment ça va?". Non. L'emploi du mot "gros" pour parler à son compère concerne exclusivement les hommes et renferme une notion de franche camaraderie. Et c'est exactement dans cette acceptation que mon jeune footeux balbynien l'a employée jeudi soir.

Je me suis alors demandée comment cette expression paysanne et provinciale était arrivée dans la bouche des gamins des cités. En effet, l'argot des banlieues détourne quelquefois de leur sens originel des mots de français, inverse les syllabes, emprunte à l'arabe, au berbère et à l'anglais. Ainsi, l'expression "je te vaccine" qui n'est pas, il faut bien le dire, employée couramment en français, est quelque chose qui se vit au quotidien en banlieue. Non que les autorités sanitaires y aient organisé, plus qu'ailleurs, une campagne de prévention massive contre les maladies infantiles, la tuberculose et autres grippes. "J'te vaccine" ici, signifie quelque chose entre "j't'emmerde" et "fous-moi la paix". Je laisse votre imagination reconstituer l'enchaînement logique qui va du premier degré au second.

Dans le cas de mon "gros", le sens argotique a été préservé tel quel des champs à la ville. L'argot et le parler régional, contre lesquels notre Etat a tant lutté depuis Villers-Cotterêts, seraient-ils en passe de devenir des marqueurs d'intégration républicaine? L'idée est tentante. Malgré les problèmes qui persistent, il est assez réjouissant de penser que les petits "bouseux" et les jeunes "cailleras", dont les cultures ne cessent de s'éloigner, se comprennent plutôt très bien. Mais gardons-nous de toute conclusion hâtive. Je me réjouirai le jour où tous pourront indifféremment passer du sabir argotique de leur village/ville d'origine au langage châtié des salons parisiens, en passant par le français courant de la presse quotidienne nationale. I had a dream last night...

Ces considérations linguistico-sociales m'ont ramenée aux quelques quiproquos qui ont émaillé ma vie étudiante, au fil de mes pérégrinations à travers la France.

Petit florilège de dialogues de sourds:

En Poitou:

Le cordonnier: Vous passez chercher vos chaussures c'tantôt?
Moi: ...?
Le cordonnier: J'vous les fais pour c'tantôt?
Moi: Euh...Oui...Pas de problème...
Ne sachant toujours pas quand mon cordonnier allait me rendre ma paire de chaussures réparées, j'ai interrogé mon voisin. C'tantôt = tout à l'heure...Ce qui ne m'a pas éclairée beaucoup sur l'horaire...

Toujours en Poitou:

Moi: Vous avez un cornet pour mettre mes courses?
La caissière: ...
Moi: Vous ne donnez plus de cornets?
La caissière: Des quoi...?
Moi: Ben des cornets...Des sachets, quoi!
La caissière: Aaaaaah! Vous voulez des poches!
Ou comment comprendre, à l'échelle locale, l'utilité d'une langue commune et connue de tous...

A Paris:

Moi: Tu peux clencher la porte, s'il te plaît?
Ma coloc: Quoi?
Moi: Tu peux clencher la porte? Tourner la poignée pour la fermer!
Ma coloc: Y'a un verbe pour ça?
Moi: Euh...Pas en français courant, visiblement...
Par extension, la clenche = la poignée de porte...

Et allez, pour finir, un petit dictionnaire chanté de lorrain des champs!