lundi 13 décembre 2010

The day after tomorrow


Mercredi 8 décembre 2010. L'Ile-de-France est en état de siège. Dans les rues des villes de banlieue, des automobilistes essaient désespérément de fuir pendant que partout retentissent les sirènes des pompiers. Un capot ouvert et fumant par ci, une voiture en travers de la route par là. Scènes dignes des meilleurs films catastrophes américains des 20 dernières années.

Et qu'est-ce qui provoque ce chaos? Godzilla? Une attaque alien? Le déluge? Le retour de la tempête de 99? L'explosion d'un site classé Seveso?

Du tout. Vous n'y êtes pas. Les responsables de toute cette pagaille (car il faut bien appeler un chat un chat), ce sont 15 malheureux centimètres de neige. Pas 40, comme à Lyon une semaine plus tôt. Pas trois mois d'enneigement consécutifs, comme en Europe du Nord ou dans les stations alpines. 15 centimètres de neige tombés en 4 heures ont totalement paralysé la région la plus riche d'Europe occidentale.

Dingue? Non, pas tant que ça, quand on sait qu'un simple coup de frein d'un automobiliste rêveur sur l'A86 peut provoquer un bouchon s'il est donné aux abords du Stade de France un vendredi à 17h. Que n'a-t-on pas entendu comme commentaires railleurs sur le Parisien et sa conduite suite à cet épisode malheureux et ubuesque! Le Francilien ne sait pas conduire sous la neige, le Francilien roule comme un fou et ne prend pas garde à la signalisation et il ne faut pas s'étonner si le Francilien finit bloqué dans un capharnaüm géant on ice.

Je ne suis pas prompte à défendre le Francilien roulant. La récente acquisition d'un véhicule muni d'une plaque "provinciale" a achevé de me convaincre du caractère belliqueux et impatient de l'autochtone au volant.

Néanmoins, pour une fois, le Francilien roulant n'y est pas pour grand-chose dans cette pagaille.

Imaginez une métropole avec des tronçons de route faits pour absorber au maximum 8000 véhicules/heure et qui en voient passer le double. Par temps sec, ça bouchonne. Quand il pleut, ça ajoute des kilomètres de bouchons à ceux qui se forment "naturellement". Quand il neige, si une voiture sur 3000 chasse de l'arrière-train sur le périph, ça sent le blocage systémique en moins d'une demi-heure. Avec 80 véhicules de déneigement, on ne dégage pas une région complète en 30 minutes. Si le réseau secondaire et tertiaire devient difficilement praticable en moins de deux heures, on arrive à la sclérose complète du système en moins d'une demi-journée.

En somme, le problème de l'Ile-de-France, ce n'est ni le manque de réactivité des pouvoirs publics, ni l'erreur de 5 centimètres dans la prévision de Météo France, ni l'irresponsabilité des Franciliens qui prennent leur voiture malgré une alerte orange à la neige et au verglas.

Le problème, c'est un réseau de transports conçu pour 5 millions d'habitants, quand on en compte 11 millions aujourd'hui.

En matière de déplacements, la région est au bord de l'asphyxie, comme l'a démontré l'épisode neigeux de mercredi dernier.

Et la bonne marche du réseau routier et du réseau de transports en commun conditionne beaucoup d'autres problématiques: si la demande sur l'immobilier est aussi forte aux abords de Paris, si la pression sur les prix à la location et à l'achat est aussi élevée, c'est que l'on cherche à se rapprocher de son lieu de travail. Mettre 40 minutes pour aller travailler, en petite couronne, c'est vivre à moins de 10 km de son travail. Dans une ville moyenne de province, dans le même laps de temps, vous pouvez parcourir 30 km.

Tandis qu'on peine à améliorer le réseau existant de transports en commun, qu'on conçoit très difficilement des lignes nouvelles de transports ferrés (les plus rapides, les plus efficaces, mais aussi les plus coûteux), on a complètement cessé de construire des routes. Pourquoi? Parce qu'il ne faut pas inciter au choix du mode de transport automobile, après des décennies de "tout-automobile". Vous vous rappelez? L'époque où les zones piétonnes n'existaient pas, où il y avait encore des places gratuites de stationnement et où l'essence coutait 3 francs le litre. Non? Moi non plus. J'étais trop jeune...

Par contre, il faut défendre les constructeurs français, fleurons de notre industrie, à coups de prime à la casse, exonération de la vignette automobile, bonus écologique et autres avantages liés à l'achat d'une voiture neuve...

Les effets de cette politique schizophrène se font ressentir durement aujourd'hui: toujours plus de voitures pour un réseau routier qui se dégrade et une offre alternative de transports en commun qui ne s'améliore pas et coûte de plus en plus cher.

On avait déjà les grèves à la SNCF et les alertes à la bombe...les Franciliens ont maintenant une nouvelle raison de faire la gueule de bon matin. Les alertes météo!

En photo: la préfecture de la Seine Saint-Denis à Bobigny, mercredi 8 décembre 2010