dimanche 24 janvier 2010

L'argot des villes et l'argot des champs


Ce jeudi soir, alors que je pressais le pas pour rentrer à la maison, je fus stoppée net dans mon élan de jeune femme frigorifiée par une exclamation venue d'un autre âge, et (presque) d'une autre planète.
Des gamins jouaient au foot sur la place que j'étais en train de longer. L'un d'eux, pour attirer l'attention de son coéquipier, lui tint à peu près ce langage: "Vas-y gros! Fais-moi la passe!"
Le gros en question était un gamin fluet d'une dizaine d'années. L'exclamation ne faisait donc pas référence à sa circonférence, mais devait plutôt être entendue au sens de "mec": "Vas-y, mec, fais-moi la passe!".

Ce qui m'a stupéfiée, c'est que cette expression évoquait en réalité plus pour moi le jeune paysan lorrain que le môme de banlieue...Combien de fois ai-je entendu, lorsque j'étais enfant, mes instituteurs reprendre mes petits camarades lorsqu'ils s'interpellaient ainsi entre eux: "Salut gros! Comment qu'c'est?" - traduction populaire et enfantine du fameux "Bonjour cher ami! Comment allez-vous"?

L'emploi du mot "gros" n'avait alors aucune connotation péjorative. Il s'agissait plus d'une interjection joyeusement virile, car, de bien entendu, on n'entendait jamais deux femmes s'interpeler de la même manière, et encore moins un homme s'adresser à une femme en ces termes: "Salut grosse, comment ça va?". Non. L'emploi du mot "gros" pour parler à son compère concerne exclusivement les hommes et renferme une notion de franche camaraderie. Et c'est exactement dans cette acceptation que mon jeune footeux balbynien l'a employée jeudi soir.

Je me suis alors demandée comment cette expression paysanne et provinciale était arrivée dans la bouche des gamins des cités. En effet, l'argot des banlieues détourne quelquefois de leur sens originel des mots de français, inverse les syllabes, emprunte à l'arabe, au berbère et à l'anglais. Ainsi, l'expression "je te vaccine" qui n'est pas, il faut bien le dire, employée couramment en français, est quelque chose qui se vit au quotidien en banlieue. Non que les autorités sanitaires y aient organisé, plus qu'ailleurs, une campagne de prévention massive contre les maladies infantiles, la tuberculose et autres grippes. "J'te vaccine" ici, signifie quelque chose entre "j't'emmerde" et "fous-moi la paix". Je laisse votre imagination reconstituer l'enchaînement logique qui va du premier degré au second.

Dans le cas de mon "gros", le sens argotique a été préservé tel quel des champs à la ville. L'argot et le parler régional, contre lesquels notre Etat a tant lutté depuis Villers-Cotterêts, seraient-ils en passe de devenir des marqueurs d'intégration républicaine? L'idée est tentante. Malgré les problèmes qui persistent, il est assez réjouissant de penser que les petits "bouseux" et les jeunes "cailleras", dont les cultures ne cessent de s'éloigner, se comprennent plutôt très bien. Mais gardons-nous de toute conclusion hâtive. Je me réjouirai le jour où tous pourront indifféremment passer du sabir argotique de leur village/ville d'origine au langage châtié des salons parisiens, en passant par le français courant de la presse quotidienne nationale. I had a dream last night...

Ces considérations linguistico-sociales m'ont ramenée aux quelques quiproquos qui ont émaillé ma vie étudiante, au fil de mes pérégrinations à travers la France.

Petit florilège de dialogues de sourds:

En Poitou:

Le cordonnier: Vous passez chercher vos chaussures c'tantôt?
Moi: ...?
Le cordonnier: J'vous les fais pour c'tantôt?
Moi: Euh...Oui...Pas de problème...
Ne sachant toujours pas quand mon cordonnier allait me rendre ma paire de chaussures réparées, j'ai interrogé mon voisin. C'tantôt = tout à l'heure...Ce qui ne m'a pas éclairée beaucoup sur l'horaire...

Toujours en Poitou:

Moi: Vous avez un cornet pour mettre mes courses?
La caissière: ...
Moi: Vous ne donnez plus de cornets?
La caissière: Des quoi...?
Moi: Ben des cornets...Des sachets, quoi!
La caissière: Aaaaaah! Vous voulez des poches!
Ou comment comprendre, à l'échelle locale, l'utilité d'une langue commune et connue de tous...

A Paris:

Moi: Tu peux clencher la porte, s'il te plaît?
Ma coloc: Quoi?
Moi: Tu peux clencher la porte? Tourner la poignée pour la fermer!
Ma coloc: Y'a un verbe pour ça?
Moi: Euh...Pas en français courant, visiblement...
Par extension, la clenche = la poignée de porte...

Et allez, pour finir, un petit dictionnaire chanté de lorrain des champs!

lundi 18 janvier 2010

De la diversité en politique


Anne-Sophie Lapix anime tous les dimanches une excellente émission politique, en clair sur Canal +, "Dimanche +". Au premier abord, on songerait plutôt à elle pour retourner les lettres à "La Roue de la Fortune". Mais il ne faut pas se fier à son physique de Barbie girl. C'est une des plus redoutables journalistes politiques de la chaîne. Ses questions ne sont jamais complaisantes. Contrairement à d'autres, elle ne sert pas la soupe à ses invités avec des interviews construites dans le seul but de leur permettre de faire leur com'. J'entendais récemment une journaliste radio, prétendument objective, demander à un responsable politique de gauche si selon lui, la suppression de la taxe professionnelle allait conduire à une "recentralisation" et à un amoindrissement de la démocratie locale...Bien évidemment, vu sous l'angle de la "suppression" et non de la "réforme", on ne peut que répondre "oui, bien sûr" à la question posée...Le travail du journaliste ne serait-il pas justement d'interroger la pertinence d'un discours politique plutôt que de se borner à le relayer?

Anne-Sophie Lapix, à ce titre, est au-dessus de la mêlée. Face à des invités qui manient souvent très bien la langue de bois, elle a l'art de mettre en relief les discours télécommandés et les "clefs de langage" qui structurent les interventions de nos politiques. Les réponses tournent en rond, esquivent le sujet et se font de moins en moins cohérentes et précises. L'invité est piégé: il a répondu à côté de la question et tout le monde s'en est aperçu. Ce dimanche, Jospin n'a pas échappé à la règle. Anne-Sophie Lapix l'a interrogé sur une déclaration d'Eric Besson, qui disait que la raison principale de l'échec du PS en 2002, ça n'avait pas été de surestimer le bilan des cinq années précédentes, mais de s'être coupé du peuple et des sujets de préoccupation des citoyens. Besson est peut-être un homme qui a retourné sa veste, mais l'analyse est plutôt juste et continue à être d'actualité. Le PS préfère refuser de débattre sur un sujet qui fâche, en prenant le risque de voir émerger à nouveau un vote FN dans un prochain scrutin, plutôt que de mettre ledit sujet sur la table en exposant ses idées et ses propositions. Exactement ce qu'ils avaient fait en 2002. Et Jospin, plutôt que de répondre à la question posée, rétorque qu'il ne parle plus d'Eric Besson et qu'il préfère commenter l'affaire Mrs Robinson en Irlande du Nord. Pathétique pirouette d'un homme politique qui n'en finit pas de ne pas comprendre qu'on ne peut gouverner si l'on méprise les inquiétudes des citoyens.

Le débat sur l'identité nationale est peut-être dicté par l'exécutif, pour des raisons politiciennes. Certes. Il n'empêche qu'en démocratie, c'est la majorité au pouvoir qui fixe l'agenda. Pas moyen de s'y soustraire, que ce soit sur les bancs de l'Assemblée ou dans les journaux. Refuser un débat au motif qu'il pourrait véhiculer des prises de position racistes, c'est laisser le champ libre à la diffusion de ces opinions. C'est également sous-entendre que le seul fait d'évoquer ce qui fonde l'appartenance à un peuple fait de vous un horrible facho-nationaliste. Pas étonnant que des milliers de gens se détournent d'un parti qui pratique le délit d'opinion. Oui, on peut parler d'identité française sans être nationaliste et sans vouloir exclure les Français d'origine étrangère de la nation. Le peuple français de 2010 n'est pas celui de 1950. On peut être Noir et Français, musulman et Français, asiatique et Français, avoir un patronyme à consonance portugaise et Français. Il serait peut-être bon de le dire haut et fort, non?

Pour revenir au sujet qui m'intéresse, je vous invite à visionner l'interview de Lionel Jospin et du reportage qui la précède, en suivant ce lien.

On y parle de diversité en politique et on loue les socialistes qui auraient enfin compris qu'il était "impossible de gagner une élection en négligeant les communautés" (sic). Que je rassure tout de suite Canal + et ses téléspectateurs, ça fait longtemps que le PS, comme tous les autres partis, pratique le clientélisme, que ce soit à destination des profs, des cheminots, des étudiants, etc...La seule nouveauté ici, c'est qu'il ne chouchoute plus une catégorie socio-professionnelle en particulier, mais des "communautés". Est-ce meilleur pour la démocratie?...

En effet, le PS a investi deux têtes de listes issues de la diversité pour les régionales en Ile-de-France, Ali Soumaré, élu de Villiers-le-Bel (95) et Abdelhak Kachouri, maire-adjoint à Saint-Ouen (93). J'aime beaucoup Canal + et j'ai dit dans les lignes qui précèdent tout le bien que je pense de cette émission. Néanmoins, le message qui passe dans ce reportage est: "on investit des Blacks et des Rebeus pour aller chercher l'électorat des cités et les communautés". Messieurs Soumaré et Kachouri, vous êtes donc, selon Canal +, la caution "arc-en-ciel" du Parti Socialiste. Ne vous attendez donc pas à représenter un jour les citoyens de cette région et de ce pays. Vous ne représenterez que la frange "communautaire" car vous avez été élus pour ça. Parlez de sécurité urbaine et d'animation de quartier, c'est votre milieu, c'est ce que vous connaissez. Et laissez les énarques et les sciences poteux blancs proposer leurs idées sur l'éducation, sur les finances, sur la dette publique, sur l'emploi et le développement économique. Ne sortez pas de votre quartier en somme, vous ne représentez pas la France. Seulement ses banlieues...

Je déplore ce genre de reportage qui, sous couvert de louer l'ouverture à la diversité de la politique, continue à enfoncer dans la tête des citoyens une idée extrêmement gênante à mes yeux: un Noir ou un Arabe n'est bon qu'à parler des cités, et les habitants de ces cités ne peuvent faire confiance qu'à l'un "des leurs".

Quant aux interviews des journalistes du côté de l'UMP, c'est assez risible aussi: ils vont interroger Kamel Hamza, qui se plaint de ne pas avoir été choisi pour représenter la diversité sur la liste UMP en Seine Saint-Denis. Fort heureusement, a-t-on envie de dire, quand on a déjà approché le bonhomme. Il faut préciser, pour bien faire, que l'énergumène est l'attaché parlementaire d'Eric Raoult, dont j'ai déjà eu l'occasion de narrer les aventures sur ce blog. Ledit Raoult a juré d'être Ministre de l'Outremer et rêve chaque nuit de voir la blonde Pécresse perdre les élections régionales et choir de son piédestal. L'amer constat d'Hamza n'a donc rien à voir avec la diversité politique. C'est Raoult qui tacle Pécresse par le truchement de sa marionnette.

Le choix des candidats pour une élection devrait être motivée non par la couleur de peau, l'origine "communautaire" ou le sexe des gens, mais bel et bien par leur compétence et leur envie d'être au service de l'intérêt général. Je ne doute pas un seul instant que ce soit le cas d'Ali Soumaré et d'Abdelhak Kachouri, légitimes dans leur parti et dans leur ville. Mais le travail d'un media sérieux serait de rappeler que cette légitimité vient de leur travail d'élu et de militant, et pas de leur origine ethnique et/ou sociale.

mardi 5 janvier 2010

Welcome home!


Lundi 4 janvier 2010, 8h30. Je hâte le pas pour attraper mon RER. A la gare, l'escalator est en panne, et je me dis que grimper les escaliers sera bon pour mon petit coeur et pour mes petites jambes après ces deux semaines d'agapes...La positive attitude, en somme. L'art d'attaquer la reprise de bonne humeur.

Je marche jusqu'au bout du quai, au niveau de l'arrière des trains, pour être au plus près de la sortie à la gare où je descends. Le train arrive...Ô surprise! Il est court ce matin! Dans le jargon des usagers quotidiens des transports franciliens, un train court signifie qu'il n'est formé que d'une seule rame.

Les trains composés de deux rames passent en général aux heures de pointe. Je regarde ma montre. Nous sommes bien le lundi 4 janvier 2010, il est 8h35. Heure de pointe. Je commence à courir pour revenir au niveau de la première (et unique) rame. 100 personnes font la même chose que moi et s'agglutinent devant les portes du train. Les wagons sont déjà bondés. Je renonce à l'idée de monter dans celui-ci et me résous à attendre le suivant. Un quart d'heure d'attente. Il fait - 5°C. Positive attitude. Le froid, c'est vivifiant et ça oblige mon organisme à dépenser des calories. Je mincis en attendant mon RER, en somme. Les bonnes résolutions se mettent en application dès la rentrée!

Arrivée à la gare de B. Je cours pour attraper ma correspondance avec le tram. Dans le lointain, je vois les phares du véhicule briller. Bon timing, me dis-je...Le tram arrive péniblement. Feux de détresse allumés...Mauvais signe.

Il s'arrête à la hauteur du quai, mais les portes restent fermées. Quelques personnes insistent sur les ouvertures, appuyant frénétiquement sur les boutons des portes. Puis le tram s'éloigne. Sur le tableau d'affichage, nous lisons qu'il nous faut attendre le suivant..7 minutes plus tard...Il fait toujours - 5°C. Mes hanches se raffermissent maintenant à vue d'oeil. Positive attitude!

Enfin, j'arrive à destination, avec 20 minutes de retard sur mon horaire habituel, sans panne de réveil ni lourdeur intempestive dans les jambes causée par un abus de chocolat et/ou une flemmardise aiguë de rentrée. Rien de tout cela.

A la sortie du tram, mes tibias sont percutés violemment par une poussette. Dans le prolongement du véhicule d'enfant, une jeune femme d'une trentaine d'année essaie désespérément de forcer le passage, se servant du landau comme d'un bélier à roulettes. J'hésite un instant à lui expliquer les règles élémentaires qui régissent la mécanique des fluides, et qui s'appliquent fort bien aux flux de passagers entrant et sortant d'un train ou d'un bus. Il faut vider pour mieux remplir...Pas le temps pour un cours de physique. Mon voisin de derrière passe à l'application directe en me poussant vers la sortie. Je l'entends siffler une insanité entre ses dents, sans savoir si elle est adressée à la conductrice de la poussette-bélier ou bien à moi-même, sans doute pas assez rapide à son goût dans l'exercice d'évacuation du tram.

Une fois sur le trottoir, je prends une grande bouffée d'air glacial. La positive attitude ne tiendra pas une semaine à ce régime!

Vous comprenez maintenant pourquoi les Franciliens font la gueule dans les transports en commun?

Mais en attendant de retrouver un visage fermé et hostile le matin dans le RER, je vous souhaite une excellente année 2010!